Denis* aime sa femme plus que tout. Il en est visiblement fou, à un point tel qu’il rêve qu’elle s’éclate, qu’elle s’épanouisse, jusque dans les bras d’un autre. Vous avez bien lu : il aimerait qu’elle se prenne un amant, et ce, pratiquement depuis le jour un.
Vous n’êtes pas sûr de saisir ? Lui non plus. Parce que ce n’est pas tout. Il veut qu’elle s’amuse, certes, mais il ne veut surtout rien voir. Ni faire partie du projet. Simplement qu’on lui raconte les croustillants détails après. Ah oui, et le tout dans la joie et la luxure, mais sans jamais, jamais, tomber amoureuse.
Le quinquagénaire nous a donné rendez-vous dans un pub de la Rive-Sud pour se raconter, s’expliquer, décortiquer avec nous ce qu’il ressent. Ce qu’il fantasme. Et ce qu’il craint, surtout. Il faut dire que peu avant de nous rencontrer, il a connu un sacré rebondissement, vous verrez.
« Je suis avec ma conjointe depuis 20 ans, et ça fait 19 ans que je lui demande ça, débute notre interlocuteur, attablé devant une pinte de blonde fraîche, une tuque plantée sur la tête. Je n’ai jamais, jamais, jamais parlé de ça, c’est mon jardin, fermé à double tour. »
Pourquoi il nous en parle aujourd’hui ? Aucune idée. Sans doute a-t-il besoin de parler. Chose certaine, il l’aime, sa femme. « Énormément », insiste-t-il. « Voulez-vous la voir ? », ajoute-t-il, en fouillant nerveusement dans ses photos.
C’est la plus belle, il n’y a pas un homme qui voudrait partager ça !
Denis, mi-cinquantaine
« Elle est intelligente, souriante, belle, drôle, elle a tout ce qu’il faut… »
Ils se sont rencontrés quand il avait la mi-trentaine, après avoir vécu quelques aventures, et eu une seule autre amoureuse digne de ce nom. Denis croit que c’est elle, cette première flamme, qui a semé un je-ne-sais-quoi en lui. Il devait avoir 20 ans, et elle lui avait dit rêver de faire l’amour avec deux hommes. « Ça m’avait jeté par terre, se souvient-il. Mais avec le temps, ça a commencé à m’exciter… »
À l’époque, l’affaire n’aboutit pas : « je n’étais pas prêt pour ça ». Il ne l’est pas davantage aujourd’hui. Son fantasme est ailleurs, moins dans l’acte que dans l’idée qu’il s’en fait, devine-t-on. « Dans le fond, c’est de l’amour extrême. Je veux lui permettre de vivre. La vie, des fois, n’est pas longue. Et puis, elle est tellement belle. Peut-être que ça lui ferait plaisir ! »
À noter que de son côté, l’idée d’aller voir ailleurs ne l’allume pas le moins du monde. « J’avoue que c’est weird… »
Dès leurs débuts, Denis en glisse un petit mot, un jour, ou plutôt une nuit, « quand c’était hot », précise notre homme en rougissant. « Ce n’est pas un sujet que tu abordes le matin devant ton café… »
Comment il lui dit ? Tout naturellement : « J’aimerais que tu rencontres quelqu’un d’autre, que tu aies un amant. » Réaction ? Négative, « elle n’est pas du tout ouverte à ça ». D’ailleurs, un temps, cela crée des remous. Madame pense qu’il ne l’aime pas pour demander cela. « Et puis à un moment donné, elle a compris et a joué le jeu. »
On comprend à le voir rougir de nouveau que cela a l’effet escompté. « Ça m’excitait ! C’était un jeu de couple ! »
Avec les années, et les enfants, Denis ne lâche pas le morceau. Il revient à la charge régulièrement, carrément chaque semaine. « C’est puissant ! »
Mais attention, ajoute-t-il ici. Parce qu’il sait bien que ce fantasme est un couteau à double tranchant. « Si elle tombait en amour, je serais complètement démoli. Je ne veux vraiment pas la perdre. C’est la personne que j’aime le plus sur terre ! »
Je veux qu’elle saute la clôture, pas qu’elle tombe en amour !
Denis, mi-cinquantaine
S’il a pensé aller dans un club échangiste ? « Pas capable », répond Denis en montrant les poings. « J’aime qu’elle soit sexy, belle, dit-il, mais je n’irais pas dans un bar avec elle, le premier à s’approcher, je ne le trouverais pas drôle. […] Mais qu’elle travaille par en arrière ? Ça, ça m’excite ! »
En cachette ? « En cachette, confirme Denis, mais je dois le savoir. » Ce n’est pas clair, fait-on valoir. « Je sais », répond-il, conscient de ses contradictions.
D’ailleurs, comment va leur sexualité ? Très bien, merci. « On fait l’amour trois ou quatre fois par semaine, c’est quand même très bon, après tant de temps, dit-il. Bien sûr que ça a évolué, pour le mieux ! »
Or voilà qu’il y a deux semaines, coup de théâtre. Nous y voilà. Le projet est passé à une nouvelle étape, quand notre Denis a compris que son fameux fantasme s’était enfin réalisé. Précision : malgré lui. À son insu, quoi. « On a discuté, et le chat est sorti du sac », laisse-t-il ici tomber. En clair : sa femme a eu une aventure avec un collègue, et visiblement, elle n’a pas détesté l’expérience. C’est bien ce qu’il voulait, pourtant ? ose-t-on. « Oui, opine Denis, mais je trouve ça moins drôle. Je veux avoir la certitude qu’il n’y a pas de sentiment… » Depuis, ajoute-t-il, il jongle entre excitation et peine, « excitation et douleur ». Et ça le torture.
Un fantasme, c’est un fantasme. Ça peut durer 20 ans. Il faut être prêt, la journée où le fantasme devient réalité, à ce que ce soit une autre paire de manches…
Denis, mi-cinquantaine
Bien évidemment, non, il ne lui en veut pas. Mais il voit bien qu’il s’est fait prendre par son propre jeu. « Elle m’a donné beaucoup de détails, je l’apprécie, mais pas sur une base pour m’exciter, plutôt pour m’informer. » C’est sans doute là le hic. Le gros hic : la « complicité » n’y est pas.
« Là, on est en train d’accepter tout ça, ça bout dans nos têtes. Elle a été très sincère, elle a même pleuré, c’est dur. Je l’aime énormément. On est les deux étourdis… »
Depuis, oui, ils ont fait l’amour, et curieusement, c’est « meilleur » que jamais. « Parce que je sais qu’elle est allée voir ailleurs ! Mais un coup que j’ai eu mon orgasme, une autre partie de mon cerveau embarque, et là, c’est moins drôle… »
Est-ce à dire que ce n’est pas une bonne idée de réaliser un fantasme ? ose-t-on à nouveau. « Peut-être, répond Denis. Vous me rappellerez dans un an… »
* Prénom fictif, pour protéger son anonymat
Mise à jour
À quelques jours de la publication, Denis nous a réécrit ceci : « La mer s’est calmée, nous avons beaucoup discuté. » Ses inquiétudes se sont envolées, il n’a plus peur que sa femme développe de sentiments. À preuve : il l’a même invitée à revoir son amant. « J’ai même payé la chambre d’hôtel. […] Maintenant mon fantasme est réel et je l’aime plus que jamais. » À suivre ?
Auteur : Silvia Galipeau
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