Derrière la porte | Une maîtresse, c’est « de l’héroïne »

Derrière la porte | Une maîtresse, c’est « de l’héroïne »

La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Pierre*, début soixantaine


Avoir une maîtresse, mener une double vie, c’est comme de « l’héroïne », illustre Pierre*. Il sait de quoi il parle et il sait surtout qu’il y a de bonnes chances que tout cela finisse mal. Entretien émotif avec un homme qui revient de loin.

« Tu ne peux pas vivre ça et t’en sortir indemne. Il va arriver un point de rupture quand tu tombes en amour… », déclare le sexagénaire en se mordant les doigts, comme il le fera plusieurs fois tout le long de notre entretien, mené à mi-chemin entre Québec et Montréal, dernièrement.

Pour cause. Tenez-vous bien : « Elle est morte, rajoute-t-il, en riant nerveusement. C’est ça… »

Il nous a écrit à la suite du récit d’une certaine Judith*, en « coup de foudre sexuel » avec son amant, littéralement. « Elle était très entichée. Sous la folie totale », se souvient-il.



Lisez le témoignage de Judith

Si ça l’a interpelé ? « Légèrement, oui », répète Pierre, trois fois plutôt qu’une, en soupirant lourdement. Ses yeux se remplissent d’eau, il prend une respiration, puis poursuit. Il en a long et lourd à raconter. Alors on poursuit avec lui.

Il faut savoir que notre homme a commencé sa vie de manière « bien sage, bien ordonnée ». D’un naturel gêné, peu sûr de lui, dans l’« urgence de rencontrer quelqu’un », il trouve la mère de ses enfants à 19 ans. Leur histoire dure 15 ans. Au lit ? « Correct. » Sans plus, quoi. « Mais je veux une famille et des enfants… »

À l’époque, glisse-t-il, amusé par l’ironie – et l’entrevue ne manquera pas de rires, ici et là –, il se souvient d’un ami qui « court la galipote ». « Et je lui dis qu’il mène une vie dangereuse… »

Mi-trentaine, ils se séparent, et voilà que notre Pierre se retrouve seul. « Je veux une sexualité un peu plus amusante, se souvient-il, mais je suis dépendant affectif, alors je ne peux pas rester tout seul. »

Parenthèse : on ne le sait pas encore, mais Pierre n’est pas que dépendant affectif, mais sans doute dépendant tout court. On y reviendra. Fin de la parenthèse.

C’est à ce moment qu’il met une petite annonce dans un journal, et notre « épicurien » rencontre rapidement une seconde femme, sa conjointe actuelle (depuis 30 ans !). Les premières années se passent « relativement bien ». « Mais ce n’est pas un coup de foudre. » Au lit, « il y avait un peu plus de participation, mais on n’est pas non plus dans l’explosion », nuance-t-il. Cela viendra plus tard, comprend-on, et surtout avec d’autres.

Il faut dire que rapidement, madame perd l’intérêt pour la chose. Bref, « ça ne lui tente plus ». De son côté, Pierre est « dans le plafond ». Il l’entend encore dire : « si tu n’es pas content, va voir ailleurs », paraphrase-t-il, l’air amusé de nouveau. « En pensant que je ne le ferais pas. […] Et puis elle s’est mise à partir en voyage, moi, je restais seul à la maison avec mes enfants. Pour la punir, je l’ai trompée. »

Pour la punir ? Il blague ou il est sérieux ? « Un peu des deux, poursuit notre interlocuteur, pince-sans-rire. Il y a un justificatif, alors tu justifies. […] Et c’est là que j’ai vécu des expériences. »

La préparation, c’est un thrill. C’est comme de l’héroïne, ça. De la cocaïne ! Amener tout ça, tout préparer, la dynamique…

Pierre, début soixantaine

Non, il ne se sent pas coupable d’emblée : « Pas tant, c’est physique. Ce n’est pas émotif ! »

Il rencontre une première maîtresse, au tournant de la quarantaine, puis une deuxième, et c’est autour de la troisième, « belle comme un cœur », que ça se gâte. À nouveau, à ce moment précis de l’entretien, Pierre devient émotif, en revenant sur le fameux « point de rupture » évoqué plus tôt. « Quand tu tombes en amour, quand ce n’est plus juste du cul, illustre-t-il, tu l’aimes, mais tu as des enfants, tu as une maison, tu veux être un bon père de famille… »

Il tombe amoureux tout naturellement, « en couchant avec elle ! ». C’est d’emblée très « intense », se souvient-il. « Premièrement, elle est multiorgasmique. On pouvait faire ça trois, quatre, cinq fois par jour, ça n’arrêtait pas. » Pierre n’a jamais connu ça. Une fellation par-ci, des boules chinoises par-là, toutes sortes de « fantaisies » par-ci, par-là, ça non plus, il n’y croyait pas. Il devient accro.

« Au début, ce n’était que physique, mais tranquillement, on a fait des activités… »

Et puis survient dans la vie de famille de Pierre un drame, sans lien aucun avec sa maîtresse. N’empêche qu’il est ébranlé, et son rôle de « bon père de famille » devient une priorité. Ce n’est pas une option : « Il faut que je garde l’image du gars responsable… »

Pour ce faire, Pierre se met à boire. « Et plus le temps passe, plus je me sens coupable, et plus je consomme. » L’équilibre installé devient de plus en plus instable, et Pierre plonge dans une spirale infernale.

Ce n’est pas tout. Peu après ce drame, la maîtresse de Pierre tombe malade. Très malade. Ils ne peuvent plus se voir, finies les relations sexuelles également.

Et là, je suis tombé dans l’obsession. Ce n’est pas chic, ce que je vais dire, mais je n’avais plus ma drogue, plus d’activité sexuelle, alors je me suis mis à la recherche de quelqu’un d’autre.

Pierre, début soixantaine

Disons en résumé qu’il tombe bien bas, dépendance oblige, on l’aura compris, et se retrouve un peu désespéré avec la première venue (et pas la plus « chic »), les culottes baissées dans un champ. « Ça fesse dans le dash ! », dit-il en éclatant d’un grand dire. « Et là, je m’écœure, ce n’est plus drôle. »

Il le sait : il ne va pas bien. Sa consommation atteint des sommets inégalés. Sa sexualité touche des bas-fonds tout aussi inégalés.

Puis, coup de théâtre : Pierre intègre les Alcooliques anonymes et arrête d’un coup de boire. Cela va faire 10 ans. Finie aussi la « galipote ». « J’ai tout arrêté. Si je reprends, je sais que je vais retomber dans la m… » Il met une croix sur toutes ses dépendances, quoi.

À nouveau, notre interlocuteur devient émotif. C’est qu’entre-temps, la maîtresse malade, on l’a dit, va de mal en pis, et finit par mourir. Leur liaison aura duré six ans.

Cela fait quelques années déjà, mais de toute évidence, Pierre souffre encore. Depuis ? Sa conjointe l’a su, mais ils ont fait le choix « ensemble » de « rester ensemble », même s’ils n’ont plus de sexualité. Ils ont un « projet de vie commun », comme on dit, des responsabilités, et ils y tiennent. « Je n’avais pas le choix. […] On oublie le relationnel, les blessures, tout ce que ça implique, toutes ces tromperies. […] Tranquillement, j’arrive à la rédemption. Je me suis pardonné. C’est long, arriver à dire : je suis bien avec qui je suis ! »

Même sans sexualité ? « Ce n’est pas un enjeu pour le moment. L’enjeu, conclut-il, c’est d’être bien ! »

« La sexualité, ajoute-t-il, est faite pour être vécue de manière saine. Pas de manière tout croche… »

* Prénoms fictifs, pour protéger leur anonymat



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Auteur : Silvia Galipeau

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